Sélection Citrus Sinensis Thomson Navel, Chapitre I : Le dernier arbre du jardin
Bois, acrylique, livres
50 x 30 x 25 cm
2022
Des oranges sont tombées, Chapitre I : Le dernier arbre du jardin
Bois, verre, papier, objets divers
110 x 40 x 20 cm
2022
La Semeuse, Chapitre II : Nous avons toujours existé
Carte postale, pince
10 x 15 cm
2023
La Cage, Chapitre III : Correspondre à la distance
Métal, bois, acrylique, papiers
45 x 30 cm
2021
L’été est passé sur nous-mêmes, Le Muséum des espèces inutiles
Papier, bois, métal, mixtes.
Dimensions variables
2023
Née en 1997
Vit et travaille entre Lyon, Paris et Tunis
Diplômée des Écoles Supérieures d'art et de Nantes et Valence
Emma Ben Aziza est née en 1997. Elle travaille à Lyon. Elle est diplômée de l’École supérieure d’art et design de Valence et de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Nantes.
Par Léa Bismuth
Récit intime et histoire coloniale
Des oranges sont tombées. La simplicité de ce titre d’œuvre en fait presque un aphorisme, un poème, une forme courte pour dire tout un monde. Ce monde, c’est celui d’Emma Ben Aziza, et du trajet de sa démarche, au sens propre, géographique, entre la Tunisie et la France. Le trajet est aussi historique, historiographique même — l’histoire étant toujours une narration, une construction, une écriture — entre le passé et le présent, à travers les méandres du colonialisme. Alors, dire Des Oranges sont tombées, c’est d’abord établir une position, celle d’un déracinement, d’une fructification qui n’aura plus lieu de la même façon désormais, dire une mélancolie peut-être. Mais il s’agira d’une mélancolie active, nourrie de délicatesse et d’attention, et certainement pas d’apitoiement. Le travail s’élabore en chapitres, et l’artiste se fait la narratrice — en usant aussi bien des codes de l’oralité que de ceux du texte écrit — d’un grand récit, à la fois intime et collectif. Elle est en quête aussi, au sens de l’enquêtrice, en alerte, à la poursuite d’indices signifiants, de la botanique de terrain à l’agronomie tropicale.
Les œuvres sont des installations modulables, qui semblent à première vue fragiles et tout en suspension, mais qui sont en réalité solidement ancrées, amarrées à la construction d’un sens. Car rien n’est laissé au hasard et tous les éléments sont minutieusement choisis, pour être ensuite scénographiés. Des petits mondes, comme des théâtres miniaturisés, s’offrent alors au regard, au corps tournant autour des installations pour en saisir la portée. Ici, un meuble inspiré de l’artisanat traditionnel tunisien donne son socle à l’œuvre, là une cage à oiseaux nous propulse immédiatement dans un imaginaire orientaliste pour précisément pointer l’évidence de ce regard. C’est par l’agencement des éléments collectés que l’opération d’écriture historique ne cesse de se recomposer, pour être inlassablement questionnée et relancée : « L’agencement peut changer à chaque instant, en cela l’art est infini, et c’est pourquoi l’art s’oppose à toute interprétation autoritaire et figée », explique Emma Ben Aziza. Ce n’est pas un hasard si l'une de ses installations s’intitule La Chercheuse (2022), car la chercheuse, c’est elle : un imposant bureau confirme l’idée d’étude, de collecte, et d’archive. Parallèlement, on découvre le Muséum des espèces inutiles, une installation praticable et à géométrie variable, pour laquelle lesdites « espèces » renversent le paradigme muséal tel qu’il a été élaboré par le passé. Il s’agit d’inventer le musée de demain, où l’on retrouverait par exemple le bougainvillier, l’olivier et le bigaradier, des espèces chargées d’affect, enfin remises sur le devant de la scène.
Dans Mal d’archive, Jacques Derrida s’interroge lui aussi sur l’interprétation infinie de « l’arkhé », et écrit : « L’archive a lieu au lieu de défaillance originaire et structurelle de ladite mémoire […] point d’archive sans lieu de consignation […] nulle archive sans dehors ». Toute l’entreprise d’Emma Ben Aziza travaille au corps cette définition.
Des oranges sont tombées, Chapitre I, 2023
Techniques mixtes, 110 x 40 x 35 cm, dimensions variables, crédit photo : Cécile Cayon.
1 Jacques Derrida, Mal d’archive, Galilée, 1995-2008, p. 26
La Cage, Chapitre III, 2021
Techniques mixtes, 50 x 30 x 30 cm, dimensions variables, courtesy de l'artiste.
Emma Ben Aziza was born in 1997. She works in Lyon. She graduated from École supérieure d'art et design of Valence and École nationale supérieure des beaux-arts of Nantes.
By Léa Bismuth
An intimate tale of colonial history
Oranges Have Fallen. The simplicity of this work's title makes it almost an aphorism, a poem, a short form to express a world in itself. This is Emma Ben Aziza’s world, her journey, in the literal, geographical sense, between Tunisia and France. Her journey is also historical, even historiographical —history itself is always a narrative, a construction, a written work—between the past and the present, passing through the twists and turns of colonialism. Thus to say Oranges Have Fallen is to first and foremost establish a position, an uprooting, a fructification that will no longer take place in the same way from now on, expressing perhaps a certain kind of melancholy. A melancholy that is active, nurtured by tact and attention, and certainly not by self-pity. The work unfolds in chapters, and the artist becomes the narrator — using both oral and written codes — of a vast narrative, both intimate and collective. She is also investigating, like a detective, alert, in pursuit of significant clues, from field botany to tropical agronomy
The works are modular installations, which at first glance seem fragile and floating, but in reality are firmly anchored, moored to the construction of meaning. For nothing is left to chance, and all the elements are meticulously selected and then staged. Small worlds, like miniature theatres, reveal themselves to the observer's eye, their body spinning around the installations in order to understand their significance. Here, a piece of furniture inspired by traditional Tunisian craftsmanship provides the work's pedestal, while a birdcage immediately propels us into an Orientalist imaginary world, pointing out the obviousness of this gaze. It is through the arrangement of the gathered elements that the operation of historical writing is constantly recomposed, to be endlessly questioned and reopened: “The arrangement can change at any moment, in that art is infinite, and that's why art is opposed to any authoritarian and fixed interpretation,” explains Ben Aziza. It's no coincidence that one of her installations is entitled La Chercheuse (2022), for she is a researcher: an imposing desk confirms the idea of studying, collecting and archiving. At the same time, we discover the Muséum des espèces inutiles [Museum of Useless Species], an interactive, modular installation in which these “species” subvert the museum paradigm as it was developed in the past. The aim is to invent the museum of tomorrow, where we might find, for example, the bougainvillea, the olive tree and the sour orange, species imbued with affect, and finally back in the limelight.
In Archive Fever, Jacques Derrida also reflects on the infinite interpretation of the arkhé, writing: “The archive takes place in the place of the original and structural failure of the said memory [...] no archive without a place of consignment [...] no archive without an outside”. Ben Aziza's entire undertaking works to the very core of this definition.
Oranges Have Fallen, Chapter I, 2023
Mixed media, 110 x 40 x 35 cm, dimensions variable, photo credit: Cécile Cayon.
The Cage, Chapter III, 2021
Mixed media, 50 x 30 x 30 cm, dimensions variable, courtesy of the artist.
2 Jacques Derrida, Archive Fever, Galilée, 1995-2008, p. 26.