Maladeland
Rouleau de dessin, 3 hologrammes, moteurs, pastel sec
80 x500 cm
2024
@jannazhiri
Janna Zhiri présentera une performance le samedi 22 février au Beffroi
Née en 1992 à Montpellier
Vit et travaille à Marseille
Diplômée de la Ville Arson, Nice
Janna Zhiri est née en 1992. Elle travaille à Bagnolet. Elle est diplômée de la Villa Arson, Nice.
Par Sophie Lapalu
Flirter avec l’invisible
Les pastels secs de Janna Zhiri font voler des œufs au plat telles des soucoupes au pied de volutes rougeoyantes d’un coucher de soleil ; ils proposent aux vaches de nager et aux corps de léviter les bras en l’air ; ils font laper une horde de langues s’apparentant à des feuilles vertes et flotter une demi-lune grotesque au long nez, encadrée de serpents dalmatiens. L’artiste appréhende le monde au regard de son vécu : à 23 ans, à cause d’une hémorragie cérébrale, elle est hospitalisée de jour pendant une année entière. Les histoires que son père lui racontait au téléphone étaient son exutoire. Renvoyée à la solitude, à la finitude des corps et à l’inquiétante possibilité que tout peut arriver — puisque ce qu’elle a vécu est très rare —, l’art devient la possibilité d’étirer l’espace. Si la réalité est brutale, si l’exceptionnel peut débarquer dans le quotidien sans crier gare, alors le dessin doit être un enchantement — Arcadie, où l’on flirte avec l’invisible. Les pigments se mêlent comme autant d’odes à l’amour pour offrir une hypnose sensuelle dont on se repaît à volonté. On explore les couleurs comme on plongerait les doigts dans la chantilly, avec délectation et culpabilité. Engagée dans les enjeux politiques queer, Janna Zhiri avoue que ce plaisir du dessin est presque interdit puisqu’il se fait au détriment d’une activité militante plus directe. Mais la vie est trop terre-à-terre et l’arabesque réjouissante. Aussi, chaque personnage glisse vers un autre, tout est fluide, en écho à la non-assignation fixe des genres ; se cachent toujours dans la chimère plusieurs êtres merveilleux qui semblent surgir pour disparaître aussitôt. Délicieusement suggestives, des « sculptures de fesses en plâtre des personnes sans pudeur » accompagnent le dessin et diffusent un manifeste chuchoté. Pour l’entendre, il faut glisser sa tête dans le postérieur moulé (Manifeste Sourire, Les Vâches roses en dalmatien, 2022). Le long pastel Pquoicoubeh (2023), carnet de paroles aux étoiles filantes et visages rieurs, évoque lui aussi la caresse de notre intimité : il se déroule depuis un porte papier WC...
Ainsi le dessin serait spontané, quand l’écrit se voudrait conscientisé ; il permettrait d’accéder plus directement aux enjeux sociaux. Mais c’est toujours avec beaucoup de malice que l’artiste nous conte les « rigola-ha ha ha-de » de six cochonnes dont la « queue est une boule fumée vapeur qui flanche d’envie » et dont on peut lire les péripéties dans une édition coincée entre les doigts d’une main violette en silicone (Les Six Cochonnes, Manifeste, Mon collectif imaginaire, 2021). L’érotisme est puissant, rieur. « Pour se repérer nouz les zouz tpg, on se met une glace boule sur la tête renversée et le cornet en gouffre croustillante dentelée / est un couvre-chef. Mangue, citron, pastèque, quoiqu’est-ce / la glace de chaud dégouline-visage, la langue curieuse, on s’auto-érotise franchement. » (La Route à pdex, 2023). Les mots, comme les corps, s’échangent et créent des images aussi facétieuses et jouissives que celles sur papier.
PQuoicoubeh, 2023
Pastel sec, dimensions variables, courtesy de l'artiste.
Les Six Cochonnes, Manifeste, Mon collectif imaginaire, 2023
Mains en silicones, bague au pouce, fanzine, dimensions variables, courtesy de l'artiste.
Les Vâches roses en dalmatien, manifeste sourire, 2023
Pastel sec, mixte, fesses en plâtre, manifeste chuchoté, 1000 x 180 cm, crédit photo : Robin Plus, courtesy de l'artiste.
Janna Zhiri was born in 1992. She works in Bagnolet. She graduated from The Villa Arson, Nice.
By Sophie Lapalu
Flirting with the invisible
Janna Zhiri's dry pastels make fried eggs fly like saucers across glowing sunset swirls; they invite cows to swim and arms to levitate in the air; they create hordes of slurping tongues that look like green leaves, and a grotesque, long-nosed, floating half-moon, framed by Dalmatian-spotted snakes. The artist sees the world through the eyes of her own experience: at the age of 23, she was hospitalised for a whole year due to a cerebral haemorrhage. The stories her father would tell her on the phone were her outlet. Constrained by solitude, the finitude of bodies and the worrying possibility that anything can happen — since what she experienced was so rare — art for Zhiri becomes the possibility of stretching space. If reality is brutal, if the exceptional can barge into the everyday without warning, then drawing must be an enchantment — Arcadia, where we flirt with the invisible. Pigments blend like so many amorous odes, offering a sensual hypnosis that we savour at will. Exploring Zhiri’s colours is like dipping our fingers in whipped cream, delightful and decadent. Involved in queer politics, Janna Zhiri admits that the pleasure of drawing is almost forbidden, since it comes at the expense of more direct activism. But life is too sensual and the arabesque too pleasurable. Each character slips towards another, everything is fluid, gender is malleable; several fantastic creatures are always lurking in the shadows, emerging to only disappear immediately. Deliciously suggestive sculptures of “plaster buttocks of people without modesty” accompany a drawing and broadcast a whispered manifesto. To hear it, you have to slide your head into the molded posteriors (Manifeste Sourire, Les Vâches roses en dalmatien [The Pink Dalmatian Cows, Smile Manifesto], 2022). The long pastel PQuoicoubeh (2023), a diary of dialogue with shooting stars and laughing faces, also evokes an intimate caress: it unrolls from a toilet paper holder...
In this way, the drawings are spontaneous, while the written word wants to be more conscientious, providing direct access to social issues. But this is always accompanied by a lot of mischief, the artist recounting the “rigola-ha ha ha-de [jo-ho-ho-ho-kes]” of six sows whose “tails are a steaming balls of smoke flinching with envy”, their adventures published in a zine wedged between the violet fingers of silicone hand (Les Six Cochonnes, Manifeste, Mon collectif imaginaire [The Six Sows, Manifesto, My Imaginary Collective], 2021). The eroticism is powerful, cheerful. “For us LGBT babes to find our way, we put an ice cream scoop on our upside-down heads and the crunchy, waffle cone / is our headgear. Mango, lemon, watermelon, whatever / the hot ice-cream drips down our faces, our curious tongues, we auto-eroticize ourselves without shame.” (La Route à pdex [The Road to pdex], 2023). Words, like bodies, are fluid, creating images as facetious and pleasurable as those on paper.
PQuoicoubeh, 2023
Dry pastel, variable dimensions, courtesy of the artist.
Les Six Cochonnes, Manifeste, Mon collectif imaginaire [The Six Sows, Manifesto, My Imaginary Collective], 2023
Silicon hands, thumb ring, fanzine, dimensions variable, courtesy of the artist.
Les Vâches roses en dalmatien, manifeste sourire [The Pink Dalmatian Cows, Smiling Manifesto], 2023
Dry pastel, mixed media, plaster buttocks, whispered manifesto, 1000 x 180 cm, photo credit: Robin Plus, courtesy of the artist.