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Théophylle Dcx

Curriculum Vihtae | 2022 |

Le chant du 16 juin 1869 | 2022

Le four de la survie | 2022 | Marie Genin

Né en 1996 à côté de Saint-Etienne.
Vit et travaille à Marseille.

Diplômé de la Villa Arson.

Dans le travail de Théophylle Dcx est mentionnée à plusieurs reprises une catastrophe, sans que l'on sache tout à fait si elle est fantasmée, attendue, ou tout simplement passée, vécue par d'autres avant lui. Au fil de son œuvre, composée d’écrits, de performances et de vidéos, il aborde le deuil, la maladie, la violence, qui se déploient sous plusieurs formes et peuvent tour à tour incarner cette catastrophe, mais aussi la cadence de la fête, les corps qui s’entremêlent, l’étreinte et la fusion des relations. Les sentiments que l’on éprouve et les blessures dont on souffre deviennent ce qui nous lie. Son expérience vécue est son principal matériau de travail – l’artiste a d’ailleurs réalisé une autobiographie sous forme de portrait pharmacologique filmé, Curriculum Vihtae (2022). Toutes les boîtes de médicaments qui lui ont été prescrits ces dernières années dans le cadre de sa séropositivité et qu’il a conservées lui permettent de déployer une narration dans le temps à la fois personnelle, médicale et politique, en imbibant d’intimité l’austérité de l’emballage cartonné des comprimés.

L’écriture de Théophylle Dcx expérimente, joue à tordre la langue dominante, épouse le rythme de la musique et se laisse contaminer par les paroles des chansons qu’il écoutait dans sa chambre d’adolescent – il se traduit, se dilue dedans. Dans son livre Rose2Rage, paru en 2023, il écrit : « on ne fait plus qu’un sur le remix, on se marie sur un remix, on remixe – on ré-é-x-ist-e, BOOM, en remix – je continue de faire exister mes moi·X·s[1]». Pareille à un remix, son écriture revisite et recompose, comme autant de thèmes et variations, énergie sexuelle et réflexion sociale, fluides et rage, substances et passions, tumulte et émotions. Il y fait coïncider la prosodie de la mélodie à celle du cri, du silence ou de la danse, qui apparaît dans son travail comme un moyen de convoquer, par le mouvement, nos héritages et nos passés pour mieux les sublimer.

Et si catastrophe il y a, alors qui y survit ? L’artiste s’interroge sur les mécanismes systémiques qui légitiment certains combats et en invisibilisent d‘autres. À l’image de la charge virale dans le sang, il note que certaines survies sont rendues « indétectables », la société ne laissant pas suffisamment de place à leur douleur ou à leur lutte. Théophylle Dcx réinvente les généalogies dans lesquelles il s’inscrit : en célébrant ses « daddys », inconnus décédés du sida auxquels il rend hommage ; en s’imaginant que les luttes de la génération précédente ont fait des suivant·es des « fil·les de survivant·es » ; en déclarant son amour à celles et ceux qu’il nomme ses « aimé·es ». Dans une performance récemment présentée au Palais de Tokyo, l’artiste faisait des paroles de la chanson techno du musicien américain LaTour, People Are Still Having Sex,une ritournelle. Les gens continuent de s’unir ; même si la catastrophe est là, sa pratique se fait courroie de transmission du désir, et n’est exempte ni d’espoir, ni de résilience.

Lou Ferrand

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