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Russell Perkins

Conduit | 2022 | Vue détaillée

Conduit | 2022 | vue d’installation au CAPC Musée d’art Contemporain de Bordeaux; photo: Arthur Pequin

Resorts World transcription: Score | 2020

The Future Tense | 2021 | Nelson Bourrec Carter

Safe Harbor | 2022 | Felix Hüffelmann

Né aux États-Unis.

Vit et travaille à Londres.

Diplômé du Hunter College de New York, États-Unis.

Par la proximité de son école d’art avec Wall Street et le quartier financier de New York, Russell Perkins a décelé l’analogie des dynamiques qui existent dans l’une et l’autre de ces instances. Non loin du jeu ou du pari, ces institutions louent en effet la notion de « prise de risque », mais aussi de spéculation, avec toute l’ironie grinçante que sous-entend ce rapprochement entre les mondes de l’art et de la Bourse. De là, la pratique de Russell Perkins s’est attachée à observer comment les mécanismes tacites du capitalisme tardif dans lequel nous vivons président à nos mouvements, nos corps et nos affects. À quel point sommes-nous traversé·es d’électricité, d’ondes et de données ? Son œuvre prend la mesure de la relation et de l’écart qui existent entre la forme et le chaos, la figuration et l’abstraction, dans un monde où l’économie libidinale et l’instabilité géopolitique rendent parfois illisible ou crypté ce que chacun·e expérimente pourtant

Russell Perkins s’est intéressé au poker en tant que jeu principalement pratiqué par des hommes, les règles de la partie partageant avec les failles de l’hétéro-masculinité le fait de reposer sur la capacité à dissimuler et enfouir ses émotions, tout en rejouant, selon ses mots, « les aléas du marché financier, l’effondrement rapide, le drame du profit et de la perte ». Il s’est également intéressé au casino – espace de divertissement autant que piège prédateur – en remarquant comment nos sens y étaient charmés par de nombreux artifices addictifs : le parfum synthétique conçu pour l’occasion, la lumière, la vitesse, mais aussi le son. Russell Perkins a ainsi réalisé sa première œuvre sonore en demandant à un ensemble vocal de huit personnes d’imiter, par le chant, le tumulte envoûtant de la machine à sous. En travaillant le son, il rend le bruit musique, et fait d’elle une métaphore possible de la complexité du monde, amplifiant le pouls de la société, le poids de sa modernité, ses vacillements et ses crises. Il a réitéré le geste avec les données GPS de personnes confinées lors de la pandémie, traduites en un requiem dont un algorithme empêche la résolution harmonique, rendant vaine toute possibilité de deuil ou de catharsis. Récemment, il a tenté d’interpréter des fluctuations banquières avec sa propre voix, se demandant quel serait le son de l’argent à l’heure de son immatérialité croissante. S’entourant, comme à son habitude, de spécialistes de la question – l’artiste prônant la collaboration plutôt que l’expertise solitaire –, un trader lui a répondu que, dans son vocabulaire, le bruit était « pur présent, non prévisible par le passé et non prédictif du futur ».

Dans son Manifeste Hacker (2004), McKenzie Wark étend le terme de « hacker » au-delà de sa définition de pirate informatique, désignant tout être qui aspire à un affranchissement des pensées et des actes, et qui lutte pour libérer l’information du langage dominant. L’autrice écrit que « nous produisons de nouveaux concepts, de nouvelles perceptions, de nouvelles sensations, hackées à partir de données brutes. Quel que soit le code que nous hackons, serait-il langage de programmation, langage poétique, mathématique ou musique, courbes ou couleurs, nous sommes les extracteurs des nouveaux mondes[1]. » Russell Perkins, en proposant une traduction de la prose des datas en une symphonie que l’on pourrait qualifier de « hackée », ne demeure pas dans le pur présent mais se tourne vers le futur – un futur fait de spéculation grinçante, d’incertitude, de menaces, et de musique. Et si notre vue brouillée peine à distinguer l’avenir, peut-être pourrait-on alors tenter de l’écouter.

Lou Ferrand

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