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Zoé Tullen

Autonomime | 2021 | Margaux Piette

Shadow Box | 2022 | Orbes atelier

Motherlode II (détail) | 2022 | Orbes atelier

Theseus mouse | 2022 | Jungkunst 16.

Motherlode I & II | 2022 | Orbes atelier

Née 1993 à Genève.
Vit et travaille à Paris.

Diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs.

La pratique artistique de Zoé Tullen s’inspire d’un constat : les machines sont, avec les femmes, soumises au patriarcat par des mécanismes communs. Que ce soit en volume physique ou virtuel, son travail en trois dimensions révèle précisément l’objectification subie par ces deux groupes humain et non-humain. La série évolutive qu’elle a débuté en 2022,Motherlode (filon mère, ou code source) s’intéresse plus particulièrement aux rapports historiques entre les femmes et les appareils de programmation électronique

Jusqu’aux années 1950, le mot computers désignait les femmes employées pour encoder des calculs et connecter les câbles donnant naissance aux premiers ordinateurs, avant que l’industrie informatique ne leur devienne largement hostile. Patience et minutie, vertus normativement attribuées au genre féminin, se sont effacées au profit de la performance, du progrès et du contrôle réservées aux hommes de la classe supérieure. Formellement, les membres de la Famille Motherlode (2022) de Zoé Tullen sont composés par des images d’archives datant desdébuts de l’informatique, sérigraphiées sur plexiglas et rétro-éclairées par des néons dont les fils et branchements électriques s’étalent sur le sol. Révélant tous les éléments qui les composent, ces œuvres exhument le souvenir invisibilisé des « femmes computers », tout en leur redonnant leur légitime agentivité.

Si les artistes féministes des années 1980 comme Dara Birnbaum ou Anne-Mie Van Kerckhoven ont revendiqué leur place sexuée dans et grâce aux médias technologiques, Zoé Tullen mène aujourd’hui une réflexion sur l’abolition du genre comme voie d’émancipation. Sculpturales et picturales à la fois, analogues et numériques, non-binaires, donc, ses pièces ouvrent aussi la binarité du langage informatique à d’autres horizons. L’artiste cherche à introduire l’affect et la subjectivité dans l’univers technologique, outils par lesquels les femmes et personnes queer ont non seulement résisté mais se sont aussi affranchies des carcans de la domination masculine. Sa vidéo Shadow Box (2022) joue par exemple des interférences entre la présence humaine et l’antenne d’un poste de télévision. Les ondes en sont troublées, l’image modifiée. À l’intérieur, une figure masculine virile est comme enfermée par les limites de sa propre image à l’écran : il est le seul adversaire d’un combat de boxe vain. La mise en scène d’identités stéréotypées rappelle le travail de l’artiste américaine Ericka Beckman, dont le langage visuel s’est fondé sur le corps en action. Dans ses films, Beckman regarde comment les individus forment leur image de soi à travers des automatismes de reproduction. Comme Zoé Tullen, elle révèle les artifices à l’œuvre dans la création contemporaine des images, en intervenant directement sur le dispositif technique de ses films.

Les deux artistes partagent également un goût pour le jeu, comme l’illustre l’installation Autonomime (2021) où un enfant aux traits de marionnette performe des mouvements de gymnastique masculine. Mal adaptés à sa physionomie, ces gestes le transforment en automate, contraint de reproduire un langage corporel édicté par l’homme, pour l’homme. Cette œuvre, autoportrait de l’artiste en enfant, établit cette fois-ci un parallèle entre l’enfant et la machine, deux figures qui se construisent par l’apprentissage et l’expérience. Peut-on imaginer ce qu’aurait été l’enfance d’une machine, son état de nature ? Ou quel monde adviendrait si l’enfant, comme la machine, décidaient de désapprendre ? C’est ce que propose d’explorer la pratique engageante de Zoé Tullen.

Claire Contamine

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