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Kianuë Tran Kiêu

GINSANG - Lunar Lion Lovers | 2019 | Kianuë Tran Kiêu

GINSANG - Cherry Blossom Growl | 2022 | Kianuë Tran Kiêu

GINSANG - Spicy Hot Stuff | 2018 | Kianuë Tran Kiêu

GINSANG - Silky Fairies | 2019 | Kianuë Tran Kiêu

GINSANG - All You Can't Eat | 2021 | Kianuë Tran Kiêu

Dynastie tran - Papa dans ma chambre d'Ado | Kianuë Tran Kiêu | 2020

Dynastie Tran - Grand-mère Héroïne | 2021 | Kianuë Tran Kiêu

Siffler La Nuit (Détail) | 2022 | Kianuë Tran Kiêu

GINSANG - Sweet Fighters | 2018 | Kianuë Tran Kiêu

Siffler La Nuit | 2022 | Kianuë Tran Kiêu

Né·e en 1989 à Saint-Cloud.
Vit et travaille à Paris.
Diplomé·e de l’École de la Cité en 2015.

Le travail de Kianuë Tran Kiêu est une mémoire vive, émotive, réparant les défaillances d’une généalogie de déraciné·es. Ses deux familles - celle du sang, vietnamienne, et celle qu’iel a choisie, queer-trans-asiatique - s’entremêlent pour (r)établir une transmission altérée par les violences intrafamilales et systémiques, solidement arrimées aux vécus de l’artiste. Dès l’enfance, iel manipule l’écriture, la transforme en un espace-refuge fantastique et sensible pour s’extraire d’une réalité trop brutale. Avec le temps, iel démultiplie ses outils de résilience : photos, installations, écriture poétique et performances conjurent la douleur laissée par des héritages traumatiques. Ils (re)tissent des liens effilés et laissent entrevoir la possibilité de faire mémoire autrement. Par l’amour, avec vulnérabilité et grâce à une désobéissance libératrice.

Pour briser un sentiment de solitude, Kianuë Tran Kiêu produit Ginsang (2017-en cours). Les regards défient l’objectif ou s’en amusent, les expressions de genre y sont fluides, annihilant le diktat de la minorité modèle imposé aux corps asiatiques. Dans la série, les personnes queer et asio-descendant·es se détachent peu à peu, en particulier celles et ceux issu·es de l’Asie du Sud-Est, comme si Kianuë réunissait au fil des images une adelphité dispersée. Entre représentations fantasmées et désir de réappropriation, les portraits traduisent aussi le brouillage identitaire par lequel les diasporas confrontées à l’assimilation se construisent : les symboles vietnamiens se diluent dans ceux des cultures asiatiques dites d’adoption (Chine, Japon, Corée).

Avec Dynastie Tran (2020-en cours), iel remonte le fil générationnel pour comprendre l’origine d’une violence physique et psychologique, qui s’est perpétrée jusqu’à provoquer une rupture au sein de sa propre famille. Le médium photographique devient l’outil à partir duquel une libération de la parole est possible. Entre chaque prise de vue, Kianuë s’attache à restaurer des liens affectifs brisés : la pudeur laisse place à une vulnérabilité rédemptrice. Le hors champ de l’image crée un cadre exutoire où se recompose un récit familial complexe, tortueux, amorçant un processus collectif de pardon et de guérison.

Se soigner et soigner les autres est d’ailleurs au cœur de sa pratique. Ce cheminement curatif se poursuit dans Siffler la nuit (2022-en cours). À l’origine, il y a un acte de désobéissance, une notion investie par l’artiste dès 2017 avec le collectif Sansgene[1]. Dans la tradition vietnamienne, le sifflement nocturne constitue un interdit. Kianuë le détourne pour invoquer des fantômes d’amour et de tendresse : celui de sa grand-mère, et tout un panthéon d’ancêtres queers minutieusement effacé par les sociétés hétéropatriacales. Performance puis installation, Siffler la nuit est un espace de recueillement mystique pour les personnes privées de filiation. Au creux d’un autel circulaire composé de photographies, d’appareils d’enregistrement et d’objets de culte, chacun·e peut se blottir contre ces existences occultées. Une manière de se connecter à soi par la communion avec l’au-delà.

Pour l’artiste Alok Vaid-Menon (une figure d’inspiration pour Kianuë), « les personnes traumatisées meurent plusieurs fois[1] ». À chaque occurrence de la violence, elles détruisent une partie d'elle-même. Le travail de Kianuë Tran Kiêu s’emploie à briser cette malédiction, il est un sanctuaire intime ravivant les substances perdues.

Daisy Lambert

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