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Chedly Atallah

Né en 1991 à Tunis, Tunisie.

Vit et travaille à Paris.

Diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

Les œuvres de Chedly Atallah se découvrent comme une archéologie de la géopolitique du monde arabe, composée de strates d’histoires personnelles, d’évènements historiques et de récits fictifs, superposées ou fondues. Du Liban à la Tunisie en passant par la Libye, la Syrie, et la Palestine, l’actualité et les archives des conflits et révolutions populaires dans la région sont traitées comme une argile à façonner, à recomposer, à dissoudre. Le passé et l’histoire en train de se faire sont pour l’artiste une matière plastique brute qui ne saurait se réduire à une forme et un discours unique, mais qui au contraire se fragmente et se diffracte.

Portant le même nom que son grand-père, militant panarabe et poète tunisien reconnu, l’artiste détient les carnets que celui-ci a tenus chaque année de 1924 à 1981. À cette source intime et familiale, l’artiste puise des bribes du passé faisant écho aux circonstances contemporaines et joue avec tous les dédoublements possibles : entre lui et son grand-père, entre la mémoire individuelle et collective, entre ce qui fut appelé par miroitement Orient et Occident, entre le regard et l’objet.

La plupart des œuvres de Chedly Atallah naissent d’un extrait de ces carnets et sont ensuite situées dans un espace-temps donné. Le travail de l’artiste égrène les lieux : la ville martyre d’Alep, Sardacht, à la frontière irano-irakienne, les plages de Sousse, la Place du Bardo à Tunis. Des dates s’y écoulent : l’arrestation de son grand-père en 1943, la « catastrophe climatique » de l’automne 1969 en Tunisie, la signature de la Convention sur les armes chimiques en 1993, l’attentat de Sousse du 26 juin 2015.

Ces réalités historiques se font progressivement déborder par l’imperfection de la mémoire qui les convoque, et par des récits spéculatifs et métaphoriques que l’artiste entremêle selon un principe d’uchronie. Ce sont alors autant de couches historiques, religieuses, politiques, avérées ou fictives, qui bâtissent une mythologie personnelle de l’artiste, mais surtout s’additionnent dans une saturation et un aveuglement presque total. Pour libérer l’Histoire de son canon officiel, il applique aux étendues, évènements historiques, images et espaces mentaux le principe de l’accumulation aveuglante, inspirée de la rétinopathie, maladie provoquant une perte progressive de la vue dont souffrait son grand-père.

À la manière de l’eau qui n’a pas de forme propre, l’Histoire, entre les mains de Chedly Atallah, adopte les contours de son contenant, de son médium, le fond appelant ainsi la forme. L’artiste a recours à une grande variété de techniques : film, photographie, dessin, sculpture, qu’il fait dialoguer et coexister dans ses installations. Du grain de moutarde aux structures archi-tubulaires, les échelles sont variables. De l’écriture en braille sur du silicone à celle en Arabe, gravée dans de l’argile, les possibilités de lecture sont multiples et les clés de compréhension dispersées. Du photomontage au dessin pointilliste à l’encre à micro-pigment, les images sont empêchées. D’un relief à un autre, d’une texture à une autre, ligne du regard et ligne d’horizon sont accidentées, opérant une désagrégation du point de vue sur le monde dans des frontières impossibles ou des mirages.

Andréanne Béguin

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