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Renaud Artaban

Renaud Artaban

Né en 1995 à Marseille.

Vit et travaille à Paris.

Diplômé de l’École supérieure d’arts et de design de Marseille.

Dans les histoires qui nous étaient racontées lorsque nous étions enfants par nos parents ou à la télévision, le manichéisme était absolu. Les méchant·es avaient pour objectif ultime de détruire la planète, et les héro·ïnes de la sauver. En janvier 1991, pendant la guerre du Koweït, l'armée irakienne mit le feu à plus de 600 puits de pétrole avant de se retirer du pays. Dans ces images épouvantables diffusées par les médias, le noir de la fumée, dense et mortelle, la sombre viscosité du pétrole mais aussi celle des cendres, étaient omniprésentes. Cette incommensurable catastrophe humaine et écologique fut également filmée par le réalisateur allemand Werner Herzog. Dans ses Leçons de ténèbres (1992), notre planète prend des airs extraterrestres. Un enfer obscur et désertique, étouffant toute forme de vie, semble à portée de main. Ces images (sans que nous ayons à choisir de camp, dans un conflit où tout le monde fut perdant) subliment la terreur d’une possible fin du monde, ayant lieu en temps réel et pourtant bizarrement déconnectée du quotidien. Ces images ont profondément marqué le regard de Renaud Artaban.

Le goudron bitumeux est le support principal de la plupart de ses peintures. Appliqué par strates, le noir recouvre progressivement le grain de la toile, qui n’est jamais visible. Il ne s’agit pas d’un noir parfait et homogène. En travaillant sur trois ou quatre toiles en même temps, l’artiste se saisit de techniques peu traditionnelles, dont certaines lui viennent des chantiers où il les a d’abord apprises. Sur une même surface sont superposés le goudron dilué, mais aussi de la peinture de carrosserie, de la cire, de l’acrylique mélangée à du bicarbonate de sodium, de la peinture en aérosol et du pastel.

Les images qui semblent flotter au-dessus de l’obscurité parfois mate, parfois réfléchissante, sont rarement nettes : elles dégoulinent, elles sont grasses, ont été grattées, lacérées, ou sont boursouflées. Parfois, sous une partie de la toile recouverte par le bitume, une épaisseur indique la présence fantomatique d’interventions passées.

Renaud Artaban combine cette facture violente à la nostalgie de l’innocence. Une marelle, des fleurs, des chevaliers, un papillon, des paillettes ou encore des loups, à la fois menaçants et protecteurs, font leur apparition. Des enfants cohabitent dans ses œuvres avec l’imminence sourde d’un danger. La candeur de leurs jeux est hantée par des silences lourds de signification, la brutalité des non-dits entre adultes et par le flux constant des écrans, qui ne fait aucune distinction entre les dessins animés et les horreurs quotidiennes du monde qu’affrontent d’autres mineur·es démuni·es.

Les sculptures de l’artiste renvoient également à un univers intime et familial. Une odeur de caramel émane d’un château de carrés de sucre, car le feu a partiellement consumé cette structure précaire et enfantine. Le feu a également carbonisé un lit dont la tête suggère un château médiéval, tout comme il a noirci le pain d’un repas de famille – un repas constitué de poisson cru, à manger sur une table froide en acier, avec des couverts en étain peu utiles.

Notre maison brûle, car nous y avons mis le feu nous-mêmes. Le processus d’effondrement de la civilisation industrielle semble bien entamé[1]. Mais qu’avons-nous retenu de cette leçon de ténèbres ? Pour Renaud Artaban, une lueur d’espoir existe dans l’idée du refuge, de la cabane et dans les histoires qu’on raconte. Les faits ne reflètent pas toujours au mieux la réalité. Les récits ont le potentiel et la force de nous projeter au plus près de la vérité : plus efficacement encore que les faits, ils nous mettent en garde contre l’avenir qui s’annonce mal.

Ana Mendoza Aldana

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